jeudi 22 avril 2010

Le Prêtre et la Chasteté (par M. l'Abbé Alban CRAS)



2 avril 2010 : Le prêtre et la chasteté

« Un corps chaste ! Une âme pure ! Oh, il n’y a rien de si beau ! » (St Jean-Marie Vianney)


Qui pourrait imaginer un seul instant que Jean-Marie Vianney ait pu devenir le Saint Curé d’Ars, patron de tous les prêtres, modèle de sanctification sacerdotale… s’il avait été marié ? Sa vie aurait pu être sainte évidemment, mais combien différente !

Comment aurait-il pu consacrer jusqu’à seize heures par jour au confessionnal ?

Comment aurait-il pu rester si longtemps recueilli en adoration devant le tabernacle ?

Comment aurait-il pu se livrer à de si austères pratiques de pénitence ?

Comment aurait-il pu se consumer si généreusement au service de ses paroissiens ?

En un mot, comment aurait-il pu sauver tant d’âmes, comment aurait-il pu si bien rayonner le Christ-Prêtre ? La fécondité de l’apostolat est liée à la générosité du sacrifice du prêtre, dans son âme et dans son corps, ce que le Seigneur a montré lui-même en sa Passion.

Le très anticlérical Michelet affirmait à l’époque de St Jean-Marie Vianney : « Jamais une Eglise à prêtres mariés n’aurait enfanté des Saint Bernard, des Saint Thomas, des Saint Vincent de Paul. A de tels hommes, il faut le recueillement solitaire... ou le monde pour famille »… Et pourtant de nos jours, beaucoup de catholiques oublient ces évidences, et estiment que l’Eglise latine doit renoncer à la loi du célibat ecclésiastique
Les causes de la contestation moderne

Dans la société occidentale actuelle, si fortement érotisée, le célibat ecclésiastique est un mystère choquant pour nos contemporains. Beaucoup pensent qu’il est cause de déséquilibre et même de scandale. Le crime ignoble de la pédophilie, même s’il n’est imputable qu’à une minorité de prêtres odieux, fait vaciller les certitudes et les chrétiens les plus solides s’en trouvent inquiétés. On en oublie les fruits de vingtsiècles de tradition bénéfique, abasourdi par le matraquage médiatique. Cette pression peut insinuer dans la conscience des bons prêtres un sentiment malsain de doute et de remise en cause.

De plus il faut reconnaître que dans certains pans de l’Eglise ont pu être négligées ou même perdues la signification et les motivations de la chasteté sacerdotale. Après le concile l’identité sacerdotale est devenue confuse, et l’on a répété sans prudence que le prêtre est un homme comme les autres – ce qui est vrai et faux à la fois. De même on n’a pas suffisamment réfléchi aux implications de l’exaltation moderne du mariageet de la famille, qui a pu être comprise parfois comme une dévalorisation de la virginité consacrée (qui est supérieure au mariage, comme l’enseigne le Concile de Trente en sa 24e session).

Enfin la crise des vocations ajoute un argument de poids contre le célibat : pourquoi maintenir cette exigence alors que le manque de prêtres se fait cruellement sentir ? Ne pourrait-on pas ordonner des hommes mariés, comme c’est le cas dans l’Eglise d’Orient ?

En réalité, la contestation du célibat des prêtres vient essentiellement de l’esprit du monde, de ce monde révolté contre Dieu, et qui comme le Diable son prince, déteste à la fois le sacerdoce, la virginité et la maternité, c’est-à-dire tout ce qu’il y avait d’amour au pied de la Croix, dans les personnes de la Vierge Marie, Mère des prêtres, et de l’apôtre St Jean, figure du prêtre.

Une tradition d’origine apostolique
Contrairement à ce que l’on entend souvent, la loi du célibat ecclésiastique ne date pas du 12e siècle. S’il n’y eut pas de loi sur le célibat proprement dit aux origines, étant donné que nombre d’évêques et de prêtres étaient mariés, on constate une tradition ferme, remontant à l’âge apostolique, pour demander aux clercs liés par le sacrement du mariage l’observation de la continence parfaite à dater du jour de leur ordination. Cette tradition se maintint, tant en Orient qu’en Occident, jusqu’à la fin du 7e siècle.

Ainsi le Synode d'Elvira, vers l’an 300, prescrivait au canon 33 : « Il a été décidé de façon générale l'interdiction suivante aux évêques, aux prêtres et aux diacres, ainsi qu'à tous les clercs qui exercent un ministère : qu'ils s'abstiennent de leur épouse et n'engendrent pas d'enfants ; ceux qui l'auront fait devront être éloignés de l'état clérical ».

Vers 390, c’est le concile de Carthage qui affirmait : « Il convient que les saints évêques et les prêtres de Dieu, ainsi que les lévites, c'est-à-dire ceux qui sont au service des sacrements divins, observent une continence parfaite, afin de pouvoir obtenir en toute simplicité ce qu'ils demandent à Dieu ; ce qu'enseignèrent les apôtres, et ce que l'antiquité elle-même a observé, faisons en sorte, nous aussi, de le garder ».

Certes, c’est seulement en 1139 que le mariage du prêtre fut déclaré invalide. Mais il était gravement illicite depuis beaucoup plus longtemps. La discipline actuelle de l’Eglise orientale repose sur une tolérance, et a donc moins d’ancienneté que la tradition occidentale.

Cette fidélité de l’Eglise latine, qui maintient un idéal élevé, n’est pas sans émouvoir les âmes sincères. De l’aveu même du cardinal Newman, elle fut une des causes de sa conversion : « Il y avait aussi le zèle avec lequel l'Eglise romaine maintenait la doctrine et la règle du célibat, que je reconnaissais comme apostolique, et sa fidélité à bien d'autres coutumes de l'Eglise primitive qui m'étaient chères ; tout ceci plaidait en faveur de la grande Eglise romaine ».

Pourquoi le célibat ?

Le souci de maintenir des usages antiques n’est évidemment pas la seule motivation de la loi du célibat. Les raisons principales sont clairement exprimées par le Code de droit canon : « Les clercs sont tenus par l'obligation de garder la continence parfaite et perpétuelle à cause du Royaume des Cieux, et sont donc astreints au célibat, don particulier de Dieu par lequel les ministres sacrés peuvent s'unir plus facilement au Christ avec un cœur sans partage et s'adonner plus librement au service de Dieu et des hommes » (c.277). Ainsi peut-on dégager trois motifs majeurs pour la convenance du célibat. Paul VI les a résumés en 1967 dans son encyclique « Sacerdotalis Caelibatus » :

- Un motif christologique : le Christ ne s’est pas marié. Le célibat convient donc mieux à l'imitation du Christ, qui est l'idéal du prêtre. Si le Christ n'était pas marié, c'est que le célibat n'est pas une mutilation de soi-même. Le Christ a institué le sacrement du mariage mais n’a pas voulu en faire une nécessité. Paul VI l’explique : « Le Christ est resté toute sa vie dans l'état de virginité, qui signifie son dévouement total au service de Dieu et des hommes. Ce lien profond qui, dans le Christ, unit la virginité et le sacerdoce, se reflète en ceux à qui il échoit de participer à la dignité de la mission du Médiateur et Prêtre éternel, et cette participation sera d'autant plus parfaite que le ministre sacré sera affranchi de tout lien de la chair et du sang » (n°21). Ainsi la vie sacerdotale est une oblation, un don total de soi à Jésus-Christ, un dépouillement qui exige la générosité de façon à ne plus être soi-même mais Jésus continué.

- Un motif ecclésiologique : la seule épouse du Christ, donc du prêtre, c’est l’Eglise. Paul VI l’affirmait encore : « La virginité consacrée des ministres sacrés manifeste en effet l'amour virginal du Christ pour l'Eglise et la fécondité virginale et surnaturelle de cette union » (n°26). Semblable au Christ et dans le Christ, le prêtre épouse l’Eglise de façon mystique, et l’aime d'un amour exclusif. Le prêtre n’est pas seulement au service d’une famille, "petite église domestique", mais de toute la communauté. Cela demande une grande disponibilité qui n'est guère compatible avec une vie de famille. Ici peuvent se greffer toute une série de considérations pratiques : comment faire vivre une famille tout en étant prêtre ? Comment garder vis-à-vis de sa femme le secret de la confession ? Comment vivre l'obéissance et la mission, quant on a charge d'enfants ? Comment être pris tous les soirs par des offices, des visites, des réunions paroissiales, etc... et mener de front une vie de famille équilibrée ? Si l’Eglise choisit de n’ordonner que des hommes célibataires, c’est aussi parce qu’elle a une haute idée du mariage et de la famille, qui ne saurait constituer une occupation à temps partiel. Le célibat rend le prêtre libre de toute attache matérielle ou affective : c'est le gage d'une totale disponibilité apostolique. Le prêtre est libre pour tous, nuit et jour. St Paul l’a affirmé sans détour : « Celui qui n'est pas marié a souci des choses du Seigneur, il cherche à plaire au Seigneur ; celui qui est marié a souci des choses de ce monde, il cherche à plaire à sa femme, et il est partagé » (1 Cor 7, 32-33).

- Un motif eschatologique : le célibat consacré manifeste qu'il y a un autre type de fécondité que la fécondité charnelle. Se faire « eunuque pour le royaume des cieux » (Mt 19,12), c’est témoigner que nous ne sommes sur terre que de passage. Oui, la seule façon de survivre n'est pas dans la génération d'enfants. Oui, il y a une autre vie, éternelle, à laquelle nous devons attacher davantage. « Le but de cette vie, c’est de préparer l’autre » enseignait le Curé d’Ars. Le prêtre est un témoin du royaume des cieux : son célibat est un avant-goût du ciel, où il n'y a plus de mariage. Sous cet aspect aussi, le prêtre est un peu de ciel sur la terre. Sa chasteté est prophétique.
Pour rester fidèle

Il est vrai qu'au plan strictement naturel la chasteté est difficile à conserver. Elle n’est pas contre nature, mais dépasse les forces humaines : elle exige une grâce de Dieu, un secours surnaturel. Elle devient alors une nouvelle preuve de l'existence de Dieu (ce qui explique d’ailleurs l'acharnement des ennemis de l'Eglise à son encontre).

La fidélité dans la continence est donc reçue en fonction de la vie spirituelle du prêtre, du temps qu’il consacre à la prière, cause et effet d’un amour qui, s'il était absent, risquerait d'être remplacé inexorablement par les compensations néfastes de l’égoïsme, de l’ambition, de l’argent, ou de la sexualité.

Le prêtre doit se concevoir comme faible : l’humilité est le plus sûr moyen de garder la vigilance et de maintenir une nécessaire ascèse. Il sera fortement aidé par le soutien des confrères dans la vie de communauté ; et par le soutien des fidèles dans le ministère. Si le prêtre est heureux, il reste chaste et fidèle.

La grande difficulté bien sûr, c’est la durée : il faut s’engager dans sa jeunesse pour toute une vie de chasteté. Cela peut décourager, c’est pourquoi il faut que les familles chrétiennes prient pour la fidélité des prêtres, comme pour le retour des prêtres infidèles. Et les prêtres eux-mêmes doivent absolument confier leur virginité à une femme, non pas une épouse, mais une mère, la Vierge Mère, virgo castissima, virgo perpetua, virgo fidelis.

Enfin les responsables du recrutement doivent écarter sans faiblesse les candidats instables ou immatures, et former soigneusement les séminaristes, en les incitant à développer une mystique de la chasteté sacerdotale. Ils doivent apprendre à aimer la pureté, à l’exemple du Curé d’Ars, dont on a pu dire que « la chasteté brillait dans son regard ». Il aimait la pureté et savait l’exalter :

« Une âme pure ressemble à un lys, dont l’odeur monte jusqu’au trône de Dieu, à un beau lac dont l’eau claire et limpide laisse voir tout ce qu’il y a au fond. Tandis qu’une âme impure est comme un bourbier, comme un étang desséché et sentant si mauvais que personne n’ose en approcher ».

« Une âme pure est comme une belle perle. Tant qu’elle est cachée dans un coquillage au fond de la mer, personne ne songe à l’admirer. Mais si vous la montrez au soleil, cette perle brille et attire les regards. C’est ainsi que l’âme pure, qui est cachée aux yeux du monde, brillera un jour devant les anges au soleil de l’éternité. Quand une âme est pure, tout le ciel la regarde avec amour ».

Pour une mystique de la chasteté sacerdotale

Le célibat du prêtre doit être un choix résolu, un sacrifice déterminé et solidement motivé. Comme l’avait bien compris Guy de Larigaudie : « La chasteté est une gageure impossible et ridicule si elle n'a pour armature que des préceptes négatifs. Elle est possible et belle et enrichissante si elle s'appuie sur une base positive : l'amour de Dieu, vivant, total, seul capable de contenter l'immense besoin d'amour qui remplit notre cœur d'homme ». Ainsi le célibat sacerdotal ne doit pas être vécu négativement comme un manque, mais positivement comme un sacrifice par amour, qui permet l’union mystique : « Le lien de la chasteté parfaite est une espèce de mariage spirituel par lequel l’âme s’unit au Christ » (Pie XII)
Il s’agit d’un devoir moral, qui exige un effort ascétique. Celui-ci est inconcevable sans une pratique expérimentée de la tempérance, sans l’habitude en toute occasion de la maîtrise de soi. Et cela ne saurait suffire : l’esprit de pénitence et la mortification volontaire s’avèrent indispensables à qui veut garder le contrôle des passions. Le Curé d’Ars l’avait bien compris : « Je n’ai jamais éprouvé les tentations de la chair ; si je les avais éprouvées, je me serais servi de la discipline ».

Mais cela n’est pas réalisable sans une motivation mystique : c’est l’amour qui doit susciter le sacrifice de soi, corps et âme. Gratuitement, généreusement, le prêtre s’immole pour le Seigneur : par le célibat il s’identifie au Christ et s’unit à son Eglise. Or la chasteté de Jésus n’est ni accidentelle, ni accessoire, elle fait partie intégrante des « états » de Jésus, si bien décrits par Bérulle et l’Ecole française de spiritualité. A ces sentiments du Cœur de Jésus, à ces états du corps et de l’âme du Seigneur, le prêtre doit l’« adhérence ». Car il n’a pas à « être avec Jésus » comme le demande la spiritualité sponsale des religieuses, mais à « être Jésus » comme l’exige la spiritualité sacerdotale. Comment ne pas voir alors dans le sacrifice de son corps une dimension eucharistique ?

En entrant à vingt ans dans un séminaire, le futur prêtre n’a généralement pas pleinement conscience du sacrifice qui l’attend. Il le réalisera peu à peu, parfois bien après son ordination. Alors il se rendra compte que sa seule volonté ne saurait suffire : le célibat est un don de Dieu avant d’être un don à Dieu. Il est une grâce que Dieu fait à ses prêtres fidèles. Mais la volonté ne doit pas être faible ou passagère : l’engagement à la chasteté sacerdotale n’a de valeur que s’il est absolu et total. Comme a pu le dire Guynemer, « on n’a rien donné tant qu’on n’a pas tout donné ! » En donnant son corps à Dieu, on peut davantage donner son âme à tous. Le prêtre doit donc concevoir son engagement comme au moins aussi fort et indissoluble que le lien conjugal. On ne divorce pas de Dieu.

Dans le monde actuel ce message à contre-courant étonne les uns, agace les autres. Ne nous y trompons pas : c’est un élément du « signe de contradiction » que le prêtre est devenu par son ordination.

Ceux à qui Dieu suffit

Loin de renoncer à l’amour, le prêtre fidèle en expérimente la version la plus sublime, la plus surnaturelle et la plus heureuse. En plaçant son célibat, comme le Curé d’Ars, sous la protection maternelle de Notre Dame, le prêtre connaîtra les joies d’une mystérieuse fécondité apostolique, et le bonheur d’un amour généreux qui annonce la béatitude éternelle.

Il faut donc comprendre que l’enjeu crucial de la question du célibat ecclésiastique n’est pas du tout le problème du manque de prêtres, loin de là. Le vrai défi est sous-jacent, et il est d’une importance capitale pour l’avenir du christianisme : en réalité le problème du célibat sacerdotal pose la question de l’efficacité de la grâce. Le célibat sacerdotal est une grâce, comme le répétait St Jean-Marie Vianney : « La pureté vient du ciel ; il faut la demander à Dieu. Si nous la demandions, nous l’obtiendrions ». Renoncer à l’obligation du célibat reviendrait à admettre sur la pression de l’esprit du monde que la grâce est insuffisante, qu’elle ne peut permettre de vivre une vie sur-naturelle. Les conséquences en seraient catastrophiques : ce serait la capitulation de l’esprit face aux exigences de la chair, la victoire du vieil homme sur le baptisé, et même, osons le dire, le triomphe du paganisme sur le christianisme.

Aujourd'hui comme hier, la chasteté du prêtre est une grave nécessité. C’est une grâce à recevoir et préserver, c’est un sacrifice de grande valeur, et une source féconde pour le salut du monde. Il faut que des hommes continuent à sacrifier leur corps en signe de leur amour passionné pour le Christ et l’Eglise. Il faut qu’ils continuent à croire ce Seigneur qui leur dit : « ma grâce te suffit ». Il faut que le monde soit choqué par ces curés d’Ars, ces altermondialistes, ces prophètes, ces fous, à qui Dieu suffit.






Abbé Alban Cras
2nd Conseiller du Supérieur Général
et responsable de l’année de Spiritualité à Wigratzbad

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