lundi 31 mars 2008

QUESTIONS ACTUELLES


Les quelques études que j'ai rassemblées pour en former ce volume, sont contemporaines de mes Discours de combat, 1895-1905, et je n'ai garde assurément de dire qu'elles les « complètent », mais elles se rapportent toutes ou presque toutes au même ordre d'idées. Ce sont deux ou trois de ces « idées », ou, plus modestement, de ces « intentions », que je voudrais résumer dans cette Préface.

La première est relative aux « rapports de la science et delà religion», que quelques catholiques, ou plus généralement quelques chrétiens, s'évertuent de nos jours à « réconcilier », tandis que la libre pensée fonde principalement sa confiance, ou sa morgue, sur ce qu'on pourrait appeler la croissante « incompatibilité » de la religion et de la science.

Je crois, pour ma part, que libres penseurs et chrétiens ont également tort, et, un peu partout dans le présent volume, mais surtout dans les chapitres intitulés : Science et Religion, et la Moralité de la doctrine évolutive, c'est ce que j'ai tâché de montrer. Très haut et très loin peut-être, « au fond de l'azur immobile et dormant », la science et la religion se rejoignent-elles en quelque manière et ne sont-elles ensemble qu'une seule vérité ? Il se peut, quoique pourtant, plus j'y songe, et plus j'ai de peine à le croire, a La vérité, nous dit-on, ne s'oppose pas à la vérité. » Mais ce n'est là qu'une phrase, et si les vérités de la science, de la chimie, par exemple, ou de la trigonométrie, n'avaient pas de « commune mesure » avec les vérités de la religion, elles ne s'opposeraient pas pour cela les unes aux autres !

Mais pourrait-on dire qu'elles s'accordent ? Ce serait seulement des vérités d'un autre ordre. Là est le sophisme de la libre pensée. Contrariété n'est pas contradiction, et diversité n'est pas contrariété. Mais j'admire les catholiques dont la complaisance a suivi les libres penseurs sur le terrain que ceux-ci ont arbitrairement choisi, et je ne connais rien, à vrai dire, de plus vain que leur effort pour établir démonstrativement que le «récit de la création » par exemple, tel que nous le donne la Genèse, est conforme aux plus récentes conclusions de la géologie. La Genèse a-t-elle pour objet de nous enseigner la géologie ? Et la science atteint-elle aucun commencement absolu ?

C'est pourquoi j'ai pensé que, dans les temps confus où nous vivons, il y avait un intérêt majeur à s'efforcer de faire un peu de clarté, rien qu'en séparant ce qui doit être séparé, et en ne confondant pas en un ce qui fait réellement et objectivement deux. La science et la religion ne répondant pas au même objet, — et je laisse ici de côté la question de leur origine, —ni ne tendant au même but, ne sauraient avoir entre elles de « commune mesure » ; il n'y a lieu ni de les « opposer » ni de les « réconcilier » ; et, j'irai plus loin : je dirai qu'il faut craindre que toute intention de les « comparer » ou de les « confronter » ne les dénature.

Cela ne veut pas du tout dire, comme on a feint de le croire, pour les besoins d'une polémique facile, et comme je vois que quelques journalistes le croient encore, que la science « ait fait banqueroute » ; qu'on en méconnaisse la grandeur ni les progrès ; et que le chrétien doive être en défiance d'elle et de ses enseignements. La science est souveraine en son domaine, comme la religion dans le sien. Mais cela veut dire : que l'étendue de ce domaine, si vaste qu'il soit, ou qu'on le suppose dans l'avenir, n'égale pas, n'égalera jamais la totalité de la connaissance humaine. Cela veut dire : qu'il y a des problèmes dont l'examen n'appartient pas à la science, et qu'elle serait impuissante, je ne dis pas à résoudre, mais à poser comme ils doivent être posés.

Cela veut dire: qu'interrogé sur la divinité du Christ et sur le mystère de l'Incarnation, le chrétien ne trouvera pas la réponse dans un Traité d'Embryologie. Cela veut dire : que les opinions du chimiste le plus éminent, ou même du philologue le plus distingué, n'étant pas des arguments en faveur de la vérité de la religion, n'en sont donc pas non plus contre elle. Les découvertes d'un Berthelot "ne prouvent pas plus pour la libre pensée que celles d'un Pasteur ne prouvent pour la religion. Et cela veut dire enfin, ou encore : que, depuis tantôt cent cinquante ans, si la libre pensée s'est flattée de cette espérance, que la science deviendrait elle-même une « religion », et l'unique religion, elle n'y a pas encore tout a fait renoncé, mais il devient de jour en jour plus évident qu'elle y renoncera.

C'est dans ces conditions et pour ces raisons qu'il me paraît aujourd'hui tout à fait inutile, non pas d'écrire l'histoire des Conflits de la science et de la religion ; — il y a deux ouvrages essentiels sur la question, et tous les deux sont américains, celui de William Draper, et celui de M. André White ; — mais d'en faire état dans la controverse, et, par conséquent, de travailler, d'une part, à exaspérer le conflit, et de l'autre, à montrer qu'il n'existe pas. Car le conflit existe, ou il a existé dans l'histoire, mais précisément, je dis qu'il ne procède que d'une fausse idée que l'on se faisait de la science et d'une fausse idée de la religion. Religion et science, il n'est pas dans leur nature, ni de leur essence, de « s'opposer » l'une à l'autre ; il ne l'est pas davantage de se « confondre » jamais, et de concourir en quelque sorte à l'établissement du même objet, à la démonstration des mêmes vérités ; — et voilà toute notre thèse.

Ajoutons ici, — cette Préface en est l'occasion naturelle, — que, s'il manque certainement beaucoup de choses au développement que nous avons donné de cette thèse même, dans ces Études, et, dans nos Discours de combat, une de ces lacunes, en y réfléchissant, nous a paru plus considérable que les autres. La question du «surnaturel» étant mise en effet à part, ce n'est pas la vraie science qui s'oppose de nos jours à la religion, mais ce n'est pas non plus une fausse science, et c'est seulement une science qui n'est pas de la science. Il faudrait insister sur ce point. La philologie, l'exégèse, l'histoire ne sont pas des «sciences», et c'est tout a fait abusivement qu'on leur en donne le nom.

Aimez ce que jamais on ne verra deux fois.

a dit un grand poète ! Il n'y a de « science » que de ce qui s'est vu au moins deux fois. Il n'y a de « science des religions», par exemple, que dans la mesure où l'on commence par poser que le bouddhisme, le christianisme et l'islam ont passé par des phases d'évolution, je ne dis pas « analogues », mais je dis « identiques » ; et la supposition n'est évidemment qu'une pétition de principe. Mais, s'il s'agit au contraire de faits qui ne se sont produits qu'une fois dans la nature et dans l'histoire, tels que l'expédition d'Alexandre dans l'Inde, ou l'assassinat de César, il n'y en a pas de « science », puisqu'on n'en peut pas établir de « loi ». Ce sont des choses qui sont advenues', qui pouvaient ne pas advenir, dont on peut dire qu'elles ne « ré adviendront » pas, et qui, ne portant avec elles aucun caractère de nécessité, ne peuvent donc, par aucun artifice, ou aucune méthode, être rendues « scientifiques ».

Or, si l'on y veut bien faire attention, ce sont des faits de cette nature que l'exégèse ou la philologie, sous le nom de « science», opposent à la vérité de la religion. A la tradition de l'Eglise sur l'authenticité des Évangiles, l'exégèse oppose des conclusions, qu'elle considère comme « scientifiques », sans n'en avoir d'ailleurs aucun droit. On prétend prouver « scientifiquement» que le quatrième Evangile n'est pas de l'apôtre Jean, et, par conséquent, ne remonte pas à la date que l'Église lui assigne ; et c'est ce qu'on ne saurait prouver « scientifiquement ». Mais, en jouant ainsi sur ces mots de « scientifiquement », de « scientifique », et de «science », on essaie de communiquer à des affirmations conjecturales, el souvent personnelles, le caractère de certitude «relativement absolue», si je puis ainsi dire, qui passe pour être celui des lois de l'univers physique, telles que les lois de la pesanteur ou les lois de l'électricité.

C'est aujourd'hui la grande équivoque, pour ne pas dire le sophisme, qui embrouille et qui obscurcit toute cette question des « Rapports de la science et de la religion». Parce qu'on applique, ou qu'on croit appliquer à des objets, qui d'ailleurs ne les comportent point, des «méthodes » que l'on croit imitées de celles de la physique et delà chimie, mais qui n'ont rien de scientifique, on croit parler au nom de la « science ». Mais on ne parle toujours qu'au nom de l'exégèse ou de la philologie, qui ne sont pas des " sciences", et le conflit, s'il y a conflit, n'est donc pas entre la « science » et la « religion», mais entre la « religion •» et des opinions qui demeurent aussi personnelles à celui qui les professe qu'une opinion sur la guerre du Péloponnèse ou sur la rivalité de César et de Pompée. C'est ce que je n'ai trouvé qu'à peine indiqué dans ces Etudes, et c'est ce que je voudrais pouvoir quelque jour montrer avec l'ampleur que le sujet exigerait.

La seconde idée que j'ai tâché de mettre en lumière dans ces Etudes est celle-ci, que, bien loin qu'il y ait « incompatibilité, » au contraire, il y a comme une convenance interne entre le catholicisme et la démocratie. On en trouvera surtout l'expression dans le chapitre sur le Catholicisme aux Etats-Unis, écrit au retour d'une trop rapide excursion dans l'Est américain ; et, si ce n'est pas abuser de la patience du lecteur, on voudra bien le rapprocher du discours prononcé à Lille sur les Raisons actuelles de croire. Le christianisme est une « religion populaire », et, comme je l'ai rappelé dans ce chapitre même, ce grief n'était pas contre lui le moindre de ceux de Voltaire.

Voltaire trouvait « insupportable » qu'on prétendît l'obliger de penser « comme son tailleur et comme sa blanchisseuse » ; pareillement, il méprisait le christianisme de n'avoir été, pendant plus de cent ans, que la religion « de la plus vile canaille » ; et je ne répondrais pas que cette opinion ne fût encore celle de quelques-uns de nos intellectuels. Elle fait honneur au christianisme.

Ce n'est pas d'ailleurs le lieu de discuter à ce propos si le christianisme, en général, et le catholicisme en particulier, sont une « aristocratie » ou une « démocratie ». Il faudrait commencer par s'entendre sur l'exacte signification de ces mots eux-mêmes, qui peut-
être, ayant changé de sens depuis Aristote, ne sont plus aujourd'hui l'antithèse ou la contrepartie l'un de l'autre. Bornons-nous donc à dire que, pour nous, si l'on nous demandait d'en donner une définition, nous ne la chercherions pas dans des distinctions devenues de notre temps assez artificielles, et, par exemple, telles que celles qui différencient les unes des autres les diverses « formes de gouvernement ».

Une république n'est pas nécessairement démocratique; et on remarquera, d'autre part, que, même au sein des démocraties qui se croient le plus avancées, quelque aristocratie, d'une manière ou d'une autre, est toujours en train de se reconstituer. Mais nous dirions que l'un des caractères essentiels de la démocratie, c'est de tendre en tout à l'abolition du privilège héréditaire, dont le maintien et l'extension sont la grande affaire d'une aristocratie. Les démocraties ne sont ennemies ni de la fortune, quoi qu'on en ait pu dire, ni des distinctions personnelles ou individuelles, ni par conséquent d'une certaine « inégalité », d'une hiérarchie et d'une discipline, dont elles reconnaissent la vertu sociale, mais elles ne veulent que rien de tout cela s' « hérite », —et précisément c'est en quoi l'on pourrait dire que le catholicisme est une démocratie.

Tout est « traditionnel » dans l'organisation de l'Eglise catholique ; mais rien n'y est « héréditaire ». Tout pouvoir y descend et s'y communique de « haut en bas » ; mais ce ne sont pas toujours les mômes qui sont en haut, ni les mêmes qui sont en bas. La vérité n'y est point une possession de caste ou de famille, ni un privilège de race ; et dès son apparition, c'est ce qui l'a distinguée du judaïsme. L'Eglise est et demeure toujours ouverte à tous. La grande erreur qu'elle ait commise dans les derniers siècles, et dans laquelle ses ennemis commencent à être inquiets ou irrités de ne pas la voir persévérer, a été de se croire, ou d'agir comme si elle se croyait, « solidaire » des « trônes » et de l'institution monarchique. La « Sainte-Alliance » est dans l'histoire le témoin de cette erreur. Mais il n'est pas probable que l'Eglise y retombe encore; sans avoir besoin pour cela, comme l'essayèrent les hommes de 1848, de transformer l'Evangile en un instrument de prédication sociale et même socialiste, l'Eglise s'est rendu compte qu'une part de sa puissance résidait dans l'énergie de son action sociale.

Et c'est ce qui nous permet de croire, et d'espérer, que dans l'avenir, quand ce que la fièvre démocratique a encore aujourd'hui de tumultueux et on dirait presque de délirant, sera tombé, les démocraties reconnaîtront que, dans leur effort vers une moindre inégalité des conditions, laquelle n'est elle-même que la forme économique de ce que l'on appelle plus éloquemment une répartition plus équitable de la justice, elles ne sauraient avoir de plus naturelle ni de plus ferme alliée que l'Eglise catholique. Que signifient, en dehors du christianisme, les mots même de « Liberté», de « Fraternité », d'" Egalité » ? A quelle réalité répondent-ils, dans la nature ou dans l'histoire ? Et les idées qu'ils expriment, dont on chercherait vainement le ce modèle » autre part que dans l'Evangile, que sont-elles autre chose que des « laïcisations », si je puis ainsi dire, de l'idée chrétienne ? *

Je n'ai d'ailleurs voulu me servir couramment, en parlant de ce sujet, ni du terme de ce démocratie chrétienne », ni de celui de ce christianisme social», puisqu'ils sont suspects ; et qu'aussi bien tendraient-ils, si l'on n'y prenait garde, à instituer dans le catholicisme des divisions de parti. C'est en tant que « christianisme», comme tel, et sans épithète, que le christianisme est « social », à ce point qu'on peut dire que, s'il n'était pas « social», il ne serait pas le « christianisme ». Mais cela nous suffit pour pouvoir répondre à ceux qui nous accusent d'être les ennemis de la « République » et de la "Démocratie ».

Si des intentions politiques se mêlent au ce christianisme social » de quelques catholiques, j'ose dire qu'en France, ces catholiques sont le petit nombre. Laissons passé encore une ou deux générations, et il ne s'en rencontrera plus de tels. C'eut alors qu'on verra bien, je l'espère fermement, ce qu'il y a de « moderne », et même en ce sens, d' « avancé », —puisque c'est le grand mot, — dans l'enseignement du catholicisme. C'est alors qu'il paraîtra ce qu'il est : un instrument de progrès, et le plus efficace de tous, parce que la notion du « progrès social », si peut-être elle s'y distingue, ne s'y sépare cependant pas de la notion du ce progrès moral ».

Alors on comprendra ce qu'ont exactement voulu dire ceux qui, les premiers, se sont avisés que ce la question sociale était une Question morale », et auxquels peut-être n'a-t-on pas répondu en essayant de leur démontrer que « la Question morale » n'est pas une « Question sociale ». Je ne sais, en effet, de ces deux affirmations, laquelle est la plus assurée. En même temps que la réalisation d'un certain idéal social, il est certain que la religion a pour objet le perfectionnement individuel de ceux qui la pratiquent, et ceci m'amène à dire quelques mots de la troisième idée que je voudrais avoir mise en évidence dans ces Etudes.

« Chacun se fait son petit religion à part soi », disait Madame, mère du Régent, et c'est ce qu'on exprime de nos jours, d'une manière à peine différente, quand on dit de la religion qu'elle est « affaire individuelle ». Il ne faut pas douter que cette conviction, entrée depuis cent cinquante ans, et ancrée dans les esprits, n'ait contribué pour une large part à énerver l'action sociale du catholicisme. Qu'est-ce, en effet, que faire de la religion une affaire individuelle, si ce n'est précisément la dépouiller du caractère collectif qui lui est essentiel par définition. Mais, d'un autre côté, qu'est-ce qu'une religion qui n'est pas "collective » ; et, de même que l'on ne saurait être tout seul de sa famille ou de sa patrie, comment le serait-on de sa religion ? Il n'y a pas de religion '« individuelle » ou « personnelle » ; il n'y a que des « opinions », — et c'est ce que l'on s'est efforcé particulièrement de montrer dans le chapitre intitulé : la Fâcheuse Equivoque.

Si d'ailleurs on n'a pu qu'effleurer la question, le lecteur se rend compte aisément qu'elle est « capitale », et non moins « actuelle». Car, au moment même où j'écris, d'où viennent quelques-unes des pires difficultés que soulève la « Loi de séparation » du 10 décembre 1905, sinon précisément de ce que le législateur y a traité la religion comme une « affaire individuelle», et refusé d'en reconnaître le « caractère collectif » en méconnaissant les exigences du culte, la hiérarchie catholique, et les titres de la papauté? Il y a des gens qui croient avoir assuré la liberté de l'Église en affirmant la liberté de conscience ! Mais le droit de croire ce que nos guides naturels et nos chefs régulièrement institués nous enseignent n'est qu'une partie de la religion, en même temps qu'un droit qu'on ne voit pas comment on pourrait nous l'enlever, et les difficultés ne naissent que de la difficulté principale, qui est d'accorder dans la pratique les conséquences de ce droit de croire avec d'autres droits, tels que, par exemple, les droits des autres religions ou encore le droit de l'Etat.

J'ai touché la question dans le chapitre intitulé : Voulons-nous une Eglise nationale ? Et j'ai tâché là de montrer que, dans un pays comme le nôtre, s'il n'y avait pas d'utopie plus séduisante — « un seul peuple, une seule loi, une seule foi » il n'y en avait pas dont il fût plus dangereux de se flatter. Car, d'une ce affaire individuelle », en devenant une « affaire nationale », une religion comme le catholicisme, et au besoin je dirai, si l'on le veut, comme le bouddhisme, — y perdrait tout d'abord son caractère d' « affaire » en quelque sorte « universelle » ; et, de plus, elle deviendrait un merveilleux moyen de contrainte et d'oppression.

C'est ce qu'un seul exemple, tel que celui de l'orthodoxie russe, suffirait et suffit amplement à prouver. Et ceci ne veut pas dire que les deux termes de l'alternative soient toujours faciles à concilier. Il peut y avoir, il y a souvent conflit entre les ce droits de la religion » et les exigences légitimes de l'Etat, ou, si l'on le veut delà ce nationalité». Mais ce n'est une raison ni de passer outre aux uns, ni d'exagérer les autres, ceux de l'Etat, jusqu'à les rendre tyranniques, et au contraire, c'en est peut-être une de faire ce que dans l'histoire on a nommé des « concordats ».

Il n'est pas non plus très facile d'accorder les « droits de la religion », en tant que groupement ou rassemblement d'êtres humains autour d'une même croyance, avec les « droits de l'individu », c'est-à-dire, avec la liberté de l'inspiration et de la pensée. C'est ici le triomphe de nos incroyants, et nous ne sommes pas, nous, catholiques, plus fermement convaincus delà vérité de nos dogmes qu'ils ne le sont, eux, de ce qu'ils appellent « la tyrannie du dogme», et de l'effroyable contrainte qu'exercerait cette tyrannie sur les intelligences. A quoi nous ne répondrons pas, comme on le fait couramment, que cette contrainte ne s'exerce que sur ceux qui veulent bien la subir !

Cela est vrai ! Elle ne s'exerce que sur ceux qui veulent bien la subir; mais cela n'a pas toujours été vrai; et plus d'une fois, dans l'histoire, elle a pesé de tout son poids sur de libres esprits qui l'eussent volontiers secouée, s'ils l'eussent pu. Mais ce que l'on doit dire, c'est, premièrement, que cette contrainte n'en est une qu'en matière dogmatique, et, secondement, qu'en fait, —et sauf à en rechercher subtilement les raisons, — cette contrainte n'a en aucun temps empêché la liberté de s'épanouir au cœur même du catholicisme. Je terminerai cette Préface par quelques brèves observations sur ces deux points.

La « tyrannie du dogme» n'est tyrannie, si l'on tient à se servir de ce mot, qu'en matière dogmatique, et cela signifie qu'on ne voit pas qu'elle ait jamais « gêné » ni « contrarié » les spéculations du géomètre ou les vivisections du physiologiste. Elle n'a jamais gêné ni contraint la liberté de l'historien, et il n'y a pas, que je sache, d'opinion « catholique » imposée, ni convenue, sur les guerres médiques ou sur la conquête de la Gaule par les Romains. Mais si la tyrannie ne s'exerce qu'en matière dogmatique, — sur la question de l'Incarnation, par exemple, ou sur celle de la Rédemption, —qui ne voit que le mot n'a plus de sens, et que l'affirmation péremptoire et absolue du dogme, en théologie, équivaut exactement à ce que sont, en physique ou en physiologie, les énonciations des lois qui dominent la matière. Est-ce que le géomètre est « libre » de modifier les propriétés de la circonférence ou de l'ellipse ? Est-ce que le chimiste est «libre » de définir au gré de sa fantaisie celles du chlore ou de l'alcool?

Mais les lois de l'objet s'imposent à lui du dehors, et, que d'ailleurs elles lui conviennent ou non, il est bien obligé d'en subir la contrainte ou la tyrannie ! Qui soutiendra sérieusement que notre liber té de penser en soit empêchée ? Si quelqu'un s'en avisait ne serait-ce pas le moment de parler de « banqueroute, de la science » ? et pourquoi voudrait-on qu'il en soit autrement en matière de religion?, La prétendue « tyrannie du dogme » n'est qu'une phrase. Le dogme, pour le croyant, n'est « contraignant » que comme l'est la vérité même.

S'il est mis tout d'abord en dehors et comme à part de la discussion, c'est à la manière des axiomes ou des vérités élémentaires qu'on trouve à la base de toutes les sciences ; qui en sont même plus que le support, puisqu'elles en sont la condition d'existence ou de possibilité; et qui, comme le dogme, si nous nous plaçons au point de vue de la libre pensée, ne sont souvent, sous leur forme aphoristique et « tyranniques », que de pures hypothèses ! Mais en vérité, y a t-il lieu, s'il en est ainsi, de parler de la « tyrannie du dogme » ? Et, en fait, pour nous résumer, ceux-là seuls en ont éprouvé les effets, de cette tyrannie, qui ont essayé de discuter ou de renverser le dogme. Et qu'y a-t-il de plus naturel ?

C'est pourquoi, nous voyons que la vraie liberté n'en a jamais été empêchée, et de ceci les preuves sont à la fois si nombreuses et si diverses qu'on ne sait lesquelles choisir dans ce nombre et cette diversité. L'histoire même de l'Église en est une, qui depuis deux mille ans, sans cesser d'enseigner la même doctrine et de tendre au même but, s'est adaptée avec tant de souplesse à la diversité des circonstances, et qui s'accommode encore aujourd'hui même, sous toutes les latitudes, de tant de conditions si différentes, et qu'un examen superficiel eût crues contradictoires. L'abondance prodigieuse de la littérature théologique en est une autre, si tant de théologiens, tant de controversistes, tant de prédicateurs, tant de moralistes, tant d'historiens n'ont pas écrit pour dire les mêmes choses, et sans doute sont encore éloignés d'avoir épuisé la richesse de leur matière.

La multiplicité des congrégations religieuses, d'hommes ou de femmes, est encore une preuve de cette liberté qui règne dans l'Eglise, si c'est une manière "individuelle" de concevoir, non la religion, ni le dogme, mais l'action pratique du catholicisme, que nous retrouvons à l'origine de la plupart d'entre elles: Saint Bernard ne s'est pas proposé le même objet que saint François d'Assise, ni sainte Chantal le même but que sainte Thérèse. Et puisque je nomme ici des saintes et des saints, nous n'avons besoin que de feuilleter une Année liturgique, ou, à plus forte raison, les Acta sanctorum, pour y apprendre en combien de manières un saint peut différer d'un saint, une sainte d'une autre sainte, et pour y reconnaître une preuve nouvelle de cette « Liberté »...

Il ne me reste plus, en prenant congé, qu'à m'excuser d'avoir écrit cette Préface, dont je sais fort bien que les raisonnements ne donneront pas à un recueil d'articles l'unité d'un livre, et qui, sans doute, comme toutes les préfaces, a le tort, en précisant les intentions de l'auteur, de sembler avouer qu'elles ne se dégageraient pas clairement de la lecture de son livre. Et, en effet, c'est l'ordinaire objet des préfaces. Elles expriment plus clairement ce que nous craignons de n'avoir pas dit avec une clarté suffisante.

On nous accordera d'ailleurs que, si l'observation est vraie d'une manière générale, elle l'est surtout en des sujets comme ceux que nous avons essayé de traiter dans ces études. Comme il n'en est pas où la précision soit plus difficile à atteindre, il n'en est pas non plus sur lesquels, après s'être « expliqué », il soit plus naturel de vouloir s' « expliquer » encore, et plus à fond. Mais comme il n'en est pas où l'équivoque soit plus facile ni plus fréquente, il n'en est pas non plus où l'explication soit plus nécessaire. C'est ce qu'on a tâché de faire dans cette Préface comme dans ces Etudes elles-mêmes : dissiper le plus que l'on pourrait d'équivoques, et s'exprimer le plus clairement qu'on en serait capable sur des questions infiniment complexes.

1er novembre 1906.
Ferdinand Brunetière

mercredi 19 mars 2008

19 MARS - SOLENNITE DE SAINT JOSEPH, Epoux de la Très Sainte Vierge Marie

A s’en tenir à l’Evangile, on sait si peu de choses sur St Joseph. Il ne parle pas et la Bible parle si peu de lui. Les récits hagiographiques, les apocryphes, les artistes ou romanciers ont brodé à loisir sur son compte, ont cherché à le rendre bavard, en inventant des récits imaginaires, en lui attribuant des discours pieux. On a voulu « exhausser » la sainteté de St Joseph, exalter la sublimité de ses vertus en oubliant la discrétion dont l’Ecriture l’entoure, comme pour le protéger, dans une enveloppe de silence en laquelle il semble s’être absorbé.

Mais attention, l’humilité vécue par notre patriarche à un degré inouï d’effacement ne le contraint pourtant pas à disparaître, ne le réduit pas à n’exister dans la vie de Jésus que comme un personnage falot, insignifiant. On a parfois présenté St Joseph comme un vieillard chenu, plus grand-père que père, en s’imaginant que la vertu de chasteté était plus concevable à l’automne de la vie ! On a dévirilisé Joseph.

Ou bien encore, certains l’ont présenté le plus possible à l’écart de la vie sociale afin de lui permettre de mieux garantir la vie cachée de Jésus à Nazareth. On oubliait au passage que l’artisan de Galilée vivait à l’intérieur d’un village, que personne n’ignorait son métier de charpentier, qui était à l’époque une profession qualifiée, à mi-chemin entre l’architecture et la maîtrise d’art, et le travail technique sur le bois, et que ce métier le mettait en relation avec toute la vie du village, aussi bien ceux qui commandaient un berceau ou un lit, que ceux qui entreprenaient la construction d’une maison ou la réfection et l’acquisition d’outils agricoles. Joseph était un des notables de ce bourg.

Le tout Nazareth avait connaissance qu’il appartenait à la fine fleur de la lignée davidique, qu’il était d’ascendance royale.

Joseph n’était pas non plus un mari fictif, un faire valoir de Marie, un figurant marginal dans les récits d’enfance de Jésus. L’évangile de Luc ou de Matthieu le trouve déterminé, résolu, homme de décision, responsable de la Sainte Famille que Dieu lui a confiée.

Joseph fit assurément « une bonne affaire » le jour où Marie, toute jeune, accepte sa demande en mariage. Elle lui apportait alors une dot merveilleuse : sa consécration virginale. Ebloui par un tel don, Joseph, et à cause d’une telle grâce, son amour pour elle, devenait plus profond, plus intense, plus pur. Marie le tirait en avant de lui-même vers la source cachée de l’Amour : le Dieu d’Israël.

Joseph lui-même, apportait à Marie sa disponibilité, sa volonté d’être à Dieu sans éclat, dans la simplicité du cœur et l’esprit de détachement. Marie savait aussi que Joseph était un don de Dieu pour elle, et qu’il l’avait choisi selon son cœur pour protéger sa virginité. Mais les projets du Seigneur sont toujours plus vastes que ce que l’on peut en soupçonner ou imaginer. Avant l’Annonciation, Marie ne savait pas encore que le choix de Joseph se rapportait à sa propre maternité divine. Ce que Joseph n’était pas, par nature, Dieu le lui offrit par pure grâce : le don de la paternité spirituelle. Dieu a accordé à Joseph un cœur de père, en vue de l’humanité de son Fils Jésus, pour le garder et l’accompagner.

De quoi est faite cette paternité spirituelle dont Joseph fut investi ? Elle ressort de 4 traits.

D’abord d’un sens de l’autorité:

Etymologiquement, le mot autorité vient du latin « augere » qui signifie augmenter, faire grandir. D’ailleurs, le mot « Joseph » en hébreu signifie celui qui rassemble, celui ajoute, celui au contact de qui on grandit.

Il n’est pas étonnant de lire dans l’évangile de Luc (à la fin du chapitre 2) que « Jésus descendit avec ses parents à Nazareth. Il leur était soumis…. Jésus progressait en sagesse et en taille, et en faveur auprès de Dieu et des hommes »

L’évangéliste fait ressortir le rapport existant entre l’exercice de l’autorité (« il leur était soumis ») et le développement de l’enfant (« il progressait en sagesse et en taille »)

A l’image du Père de Cieux, Joseph détient une véritable autorité, celle qui se définit par le service de la croissance de l’autre.

Avec autorité, Joseph, averti en songe par l’Ange du Seigneur, décide de l’exil de la Ste Famille en Egypte, puis de son retour en Palestine après la mort du roi Hérode.

Avec autorité, fidèle à la tradition liturgique, c’est lui, Joseph, qui donne le nom à l’enfant, à l’occasion de la circoncision (Mt 1, 25)

Joseph se sait investi d’une tâche pédagogique et spirituelle. Il s’en acquitte avec courage, détermination, un sens aigu de la décision et de la responsabilité que le Seigneur lui a confiée. Et Jésus traite Joseph comme un père. Il lui réserve l’honneur et le respect qui est dû à sa mission. Jésus donne un exemple édifiant d’obéissance : « Il leur était soumis ».

Nous vivons dans une société où l’autorité, toute forme d’autorité, est mise à mal. L’autorité paternelle en particulier. On assiste à un licenciement de la paternité et au développement de 2 caricatures de la paternité.

Celle du père absent physiquement ou psychologiquement parce que réduit à l’état de géniteur ou de grand frère.

Or une société sans père est une société sans repère. Une société insécure, car celui qui représente l’autorité et la protection a disparu.

Autre caricature : celle du père cruel qui exerce la contrainte et la coercition. L’autorité devient alors autoritarisme. Il assujettit, écrase, aliène. C’est le père castrateur. Hélas, l’actualité nous offre des exemples cruels et criminels de ce dévoiement de paternité.

Ces images détériorées de la paternité manifestent la crise actuelle de l’autorité.

Le témoignage de Joseph est thérapeutique. Il offre le modèle éloquent d’une autorité exemplaire vécue dans l’amour, la fidélité et le sens de la responsabilité que Dieu lui a confiée. Une sollicitude et un dévouement qui ont raison de toute forme d’égoïsme et de manipulation.

La paternité de Joseph est également riche d’une autre vertu : celle de la justice.

L’Ecriture dit de lui que « c’est un homme juste » (Mt 1, 19), c’est-à-dire un homme intègre, un modèle d’adhésion à Dieu.

Cette vertu de justice va permettre au père nourricier de Jésus de se comporter selon les exigences de la perfection morale dans les situations délicates et pénibles où la Providence va le placer.

Par exemple, il n’y a en lui aucune trace de jalousie lorsqu’il apprend la grossesse de Marie. Aucun soupçon ne l’effleure. L’âme de Joseph était si parfaitement exempte de suspicion, qu’il ne voulait pas causer la moindre peine à la Vierge, la dénoncer et la traduire en justice, selon les prescriptions pénales de la loi mosaïque. La sainteté de Joseph s’élève au dessus de l’application formelle de la loi. Il sait que la conception de Marie est l’œuvre encore mystérieuse pour lui de l’Esprit de Dieu. Alors, par amour pour elle et par respect pour le choix de Dieu, il se retire. Il laisse à « Celui qui s’est penché sur son humble servante ». Il renonce à répudier publiquement Marie. Il la renvoie « en secret », témoignant ainsi d’une délicatesse de cœur, d’une sagesse prudentielle, qui dépassait le cadre juridique de la stricte obéissance légaliste à la loi, pour une obéissance encore plus radicale : celle qui se rapporte au choix de Dieu.

L’inspiration de Joseph anticipe l’établissement du règne de la grâce qui supplante, avec le Christ, celui de la loi.

« D’où viennent les combats entre nous ? » s’interroge St Jacques dans l’épître qu’il adresse aux premières communautés chrétiennes (chap. 4). Et l’apôtre de répondre : « du cœur de l’homme ». « Vous convoitez et vous ne possédez pas. Vous êtes menteurs et jaloux et vous ne pouvez réussir : vous combattez et bataillez. Vous ne possédez pas parce que vous n’êtes pas demandeurs. Vous demandez et ne recevez pas parce que ce que vous demandez ne vise à rien de mieux que de dépenser pour vos plaisirs… Reconnaissez votre misère, prenez le deuil et pleurez. Humiliez-vous devant le Seigneur et Il vous élèvera. »

L’injustice source de violence, vient du cœur de l’homme : cœur partagé et dévoyé. St Joseph propose à notre monde malade de tant de violences et d’agressions (manifestes ou cachées), le remède de la justice (non pas la justice selon les hommes, mais la justice selon Dieu). La justice qui consiste à laisser à Dieu la première place dans nos vies et de tout ordonner à ce primat.

Dans notre siècle où la loi, celle du législateur, rend possible ce que la fidélité au Christ et à son enseignement réprouve, Joseph offre un témoignage éloquent de loyauté, de liberté, d’abnégation.

Troisième trait de la paternité de Joseph : son intériorité.

Joseph est un homme silencieux. Il est docteur du silence par son silence. Il nous l’enseigne. Ce silence est retrait de toute parole humaine devant la Parole divine qu’il accueille sans réserve, sans commentaire. Tout discours humain serait de trop, tant la Présence de Dieu excède ce que l’on peut dire. L’inouï du don que Dieu lui accorde en lui confiant son Fils bien aimé, le rend muet d’admiration. Le silence de Joseph est un aveu d’impuissance devant la surabondance de l’amour de Dieu qui a pris un visage humain. Joseph est plongé dans l’accueil du radical de cette miséricorde dont Dieu a gratifié l’humanité pour la sauver. Et Jésus se cache dans ce silence de Joseph qui l’enveloppe et le protège. Ce silence est l’intériorité de sa paternité.

Ste Thérèse d’Avila, la grande réformatrice du Carmel et docteur de la vie contemplative, se fit la grande promotrice du culte rendu à St Joseph dans la chrétienté occidentale, comme rappela Jean-Paul II dans sa lettre apostolique Redemptoris Custos. Et cela en raison de ce lien qui existe entre Joseph et la contemplation.

« Cette intériorité est l’autel du sacrifice absolu que Joseph fit de toute son existence aux exigences de la venue du Messie dans sa maison. Elle lui permet de mettre à la disposition des projets de Dieu, sa liberté, sa vocation humaine, son bonheur conjugal, d’accepter la condition, la responsabilité de chef de la Ste Famille de Nazareth, de renoncer à l’amour conjugal naturel au profit d’un amour virginal incomparable. » (Jean-Paul II)

A l’instar de Joseph, notre société cherche des « pères » contemplatifs. L’intériorité qu’il nous propose n’est pas une introspection narcissique à la recherche de soi par un retour sur soi, mais une réalisation de soi par le don de soi à Dieu et à celui que nous recevons en son nom. « Quand on aime, l’âme est moins dans celui qui aime que dans l’être aimé » (St Augustin)

L’âme de Joseph est comme dilatée par l’excès d’amour et de vie, la plénitude d’être qu’il accueille en ce Fils de Dieu qu’il reçoit comme son propre enfant, et dans les limites physiques d’un corps en lequel se concentrent soutes les perfection divines.

L’intériorité de Joseph s’abreuve de l’intériorité trinitaire même du Christ contenue en son humanité et mise, en quelque sorte, à sa portée. L’intériorité de Joseph se creuse et se purifie par les épreuves et les incompréhensions que rencontre la mission impossible que la paternité divine a confié à sa paternité humaine, et qui l’amène à marcher dans la foi la plus pauvre.

Frères et sœurs, aux bruits et aux bavardages de notre temps, aux dictats de l’image qui inondent nos écrans de TV et d’ordinateur, le témoignage de Joseph nous ramène sur les chemins du cœur profond, au recueillement de la prière, à l’humble admiration devant le don de la vie et la beauté du monde, à l’agenouillement muet et désarmé face au Verbe fait chair, à la secrète confiance au coeur…. parce que l’on croit que l’Emmanuel, Dieu avec nous, nous rejoint et que sa présence miséricordieuse nous suffit.

Quatrième aspect de la paternité de Joseph : la vertu de la douceur.

Jésus s’applique à lui-même la béatitude de la douceur : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29)

Quelle est cette douceur dont Joseph est revêtu ? Cette douceur est d’abord l’opposé de l’orgueil. « L’âme ne peut trouver le repos qu’après avoir résorbé cette enflure fiévreuse qui la faisait grande à ses yeux, tandis que pour toi, Seigneur, elle n’était que malade » (St Augustin)

La douceur est le contraire de l’amertume. Elle suppose la mort de tout intérêt. La douceur est aussi patience à cette capacité de savoir souffrir, qu’est l’apanage des grands saints, de ces hommes et de ces femmes tellement établis en Dieu que rien de leur douleur physique ou morale, ou de la persécution qu’ils subissent, ne les détournent de Dieu.

Joseph manifeste de la douceur envers lui-même, envers Marie son épouse, et envers Dieu, envers aussi les ordres de Dieu. Jamais il ne se rebelle, n’argumente, ne revendique. Sa douceur est une docilité exigeante pour suivre Dieu coûte que coûte.

Cette docilité de Joseph est un défi et une contestation des tentatives de notre monde et de nos contemporains de se priver de Dieu, de conduire sa vie comme s’il n’existait pas, de chercher le bonheur comme s’il était à notre portée ou selon ses caprices, de réussir sa vie en se donnant à soi-même les règles du jeu et l’illusion de la réussite. Cette logique-là conduit à la mort.

Joseph, cet homme droit et juste, éveille notre intelligence et notre cœur à un autre chemin. Il parle d’expérience. C’est parce que Joseph se montre docile aux desseins de Dieu, soumis aux imprévus et obéissant aux injonctions de la Providence (souvent en dépit de ses projets), c’est parce qu’il accepte de prendre Marie comme épouse, d’aller en Egypte et ensuite d’en revenir…. qu’à force d’être fils (fils du Père céleste), il peut devenir père, père du Fils unique. La nourriture qu’il offre quotidiennement à Jésus, c’est de faire la volonté du Père (Jn 4, 34)

Le plus grand exemple de douceur que nous trouvons dans l’Ancien testament concerne l’homme le plus viril, le plus fort, qui eut la grâce de voir Dieu de dos : « Moïse, le libérateur du peuple d’Israël ». Moïse était l’homme le plus doux que la terre ait jamais porté » (Nb 12, 3)

Joseph partage cette douceur des forts. Douceur qui convainc, qui apaise, qui rassemble, qui permet l’exode et donne la terre promise en héritage. « Heureux les doux, ils possèderont la terre » (M 5, 14)

C’est par sa douceur que Joseph nous donne accès à cette terre promise qu’est le Christ. Il nous en donne le goût, le gage et l’espérance.

Mgr Dominique Rey
Cotignac, 19 mars 2005


source: Eglise Catholique du Var, Diocèse de Toulon
http://www.diocese-frejus-toulon.com

samedi 15 mars 2008

QUI EST MARIE?

QUI EST MARIE?
On rencontre des chrétiens qui boudent un peu la Sainte Vierge. Ils se demandent toujours si la dévotion qu'on a pour elle n'est pas exagérée. Ils s'inquiètent de la disproportion énorme qu'ils croient apercevoir entre le peu qu'on dit d'elle dans l'Evangile et la place qu'elle tient aujourd'hui dans l'Eglise.

Ils manquent par trop d'imagination.

Je ne parle pas de cette espèce d'imagination qui donne l'envol aux chimères, mais de la puissance qui fait les grands réalistes. Grâce à elle, on se représente telles qu'elles sont les choses qu'on n'a pas sous les yeux. Par exemple, on dépasse les simples impressions pour reconnaître en profondeur dans l'époque où l'on vit les données qui commandent l'avenir, et telle est la qualité maîtresse de l'homme d'Etat. Oui bien, on sait apercevoir dans l'air, dans la lumière et dans l'âme des hommes un monument qui n'est encore qu'une abstraite épure, et l'on remplit la condition sans laquelle on n'est pas un architecte. Avouons-le, quelque domaine de l'activité humaine que nous considérions, l'imagination qui n'est pas la folle du logis mais l'intuition vraie devient une qualité extrêmement rare. Quel travail d'analogie à partir de notre expérience, de recoupement, de reconstitutions, quelle docilité, quelle insistance, quels désistements de nos partir pris, il nous faut pour pénétrer dans l'intime des êtres.

Nous voici maintenant devant une femme dont le fils est Dieu. C'est stupéfiant! Sont fils est DIEU. Essayons de peser ces mots. Ou plutôt de nous laisser enlever par eux. Dans quels abimes? On parle ordinairement à la légère, mais du jour où l'on s'aperçoit de ce que l'Evangile montre avec tant de simplicité, on ne peut rester indifférent. Si l'on croit à l'Incarnation si l'on croit que Dieu fut vraiment homme, cette femme apparaît comme vraiment sa mère. Il y a entre elle et Dieu la communication et correspondance qui existe entre une mère et son fils. Ou nous croyons des fables, ou voila une femme que Dieu a suscitée, Créateur Tout-Puissant, pour la faire à sa convenance. S'il nous faut la voir maintenant selon ce rapport de mère à fils, quelles trop étonnantes réalités n'allons-nous pas découvrir en elle? Elle a un tels Fils que le rapport se retourne; il va falloir juger d'Elle d'après son Fils qui, étant son Dieu, l'a voulue telle qu'elle fut. Ô le seul fils qui jamais put choisir parfaitement sa mère! De quelles perfections le Parfait ne l'a-t-il pas ornée?

extrait de la Préface de Pie Régamey, O.P. (Les Plus Beaux Textes sur la Vierge Marie, Paris, La Colombe, 1946)

lundi 3 mars 2008

CROIRE D'ABORD

« Vous ne pouvez donc pas croire à moins d'avoir vu des signes ? »

« Celui qui scrute la majesté de Dieu sera accablé par sa gloire » (Pr 25,27 Vulg). Dieu n'a pas donné à l'homme l'intelligence suffisante pour tout connaître...; ce que l'on exige de toi, c'est une foi solide et une vie pure, et non une connaissance universelle. Si tu ne peux parfois même pas comprendre et saisir ce qui est au-dessous de toi, comment comprendrais-tu ce qui est au-dessus ? Abandonne-toi à Dieu, soumets ta raison à ta foi, et il te sera donné la lumière nécessaire.

Certains sont tentés au sujet de la foi et du saint sacrement ; il peut y avoir là une suggestion de l'ennemi. Ne te laisse donc pas assaillir par les doutes que le démon t'inspire, ni tourmenter par les pensées qu'il te suggère, mais crois à la parole de Dieu, crois à ses saints et à ses prophètes, et l'esprit mauvais s'enfuira. Il est souvent très profitable à un serviteur de Dieu de subir de telles épreuves. En effet, le diable ne tente pas les incroyants et les pécheurs, puisqu'il est sûr de les posséder ; c'est aux fidèles et aux amis de Dieu qu'il s'attaque afin de s'emparer d'eux par tous les moyens.

Continue donc d'avancer dans la voie de Dieu avec une foi simple et inébranlable ; approche-toi de lui avec un respect humble, et pour tout ce qui dépasse ton entendement, remets-t'en avec confiance à la toute-puissance de Dieu. Dieu ne trompe jamais personne, mais celui qui se fie trop à lui-même risque fort de tomber dans l'erreur. Dieu s'approche des simples, se révèle aux humbles, « donne l'intelligence aux petits » (Ps 118,130), montre le chemin aux âmes pures, mais prive de sa grâce les curieux et les orgueilleux. La raison humaine est souvent convaincue d'erreur, mais la vraie foi est infaillible. La raison et toutes ses recherches doivent se ranger derrière la foi, et non la précéder ou la combattre.

Imitation de Jésus-Christ, traité spirituel du 15ème siècle IV, 18 (trad. Ravinaud, Médiaspaul 1984, p. 251)

source :
http://www.levangileauquotidien.org/

dimanche 2 mars 2008

DE LA PRIERE

Que votre prière soit toute simple ; une seule parole a suffi au publicain et à l'enfant prodigue pour obtenir le pardon de Dieu (Lc 15,21)... Point de recherche dans les paroles de votre prière ; que de fois les bégaiements simples et monotones des enfants fléchissent leur père ! Ne vous lancez donc pas dans de longs discours afin de ne pas dissiper votre esprit par la recherche des paroles. Une seule parole du publicain a ému la miséricorde de Dieu ; un seul mot plein de foi a sauvé le bon larron (Lc 23,42).

La prolixité dans la prière souvent emplit l'esprit d'images et le dissipe tandis que souvent une seule parole a pour effet de le recueillir. Vous sentez-vous consolé, saisi par une parole de la prière ? Arrêtez-vous-y, car c'est que notre ange alors prie avec nous. Pas trop d'assurance, même si vous avez obtenu la pureté, mais plutôt une grande humilité, et vous sentirez alors une plus grande confiance. Même si vous avez gravi l'échelle de la perfection, priez pour demander le pardon de vos péchés ; écoutez ce cri de saint Paul : « Je suis un pécheur, moi le premier » (1Tm 1,15)... Si vous êtes revêtu de douceur et libre de toute colère, il ne vous en coûtera plus beaucoup pour libérer votre esprit de la captivité.

Tant que nous n'aurons pas obtenu la prière véritable, nous ressemblerons à ceux qui apprennent aux enfants à faire leurs premiers pas. Travaillez à élever votre pensée ou mieux à la contenir dans les paroles de votre prière ; si la faiblesse de l'enfance la fait tomber, relevez-la. Car l'esprit est instable de nature mais Celui qui peut tout affermir peut fixer aussi l'esprit... Le premier degré de la prière consiste donc à chasser par une parole simple les suggestions de l'esprit au moment même où elles se présentent. Le second, c'est de garder notre pensée uniquement à ce que nous disons et que nous pensons. Le troisième, c'est la saisie de l'âme dans le Seigneur.
Saint Jean Climaque (vers 575-vers 650), moine au Mont Sinaï L'Echelle sainte, ch. 28 (trad. Petite Philocalie, Seuil 1979, p. 91 rev)