jeudi 11 août 2011

1 - Description de la Vie Spirituelle

Assomption de la Très Sainte Vierge (Nicolas Poussin)



Vous aspirez à la vie spirituelle, chère Philotée, parce qu’étant chrétienne, vous savez que c’est une vertu très agréable à la divine Majesté. Mais de même que les petites fautes commises au début de quelque affaire vont en progressant et deviennent en fin de compte difficilement réparables, de même faut-il avant toutes choses que vous sachiez ce qu’est la vraie vie spirituelle.  
Car de même qu’il n’en existe qu’une seule vraie, il en est  une grande quantité de fausses et vaines. Ainsi faute de connaître la vraie, vous pourriez vous tromper et vous amuser à suivre quelque spiritualité illusoire et superstitieuse.
Tous les tableaux des visages qu’il peignait, Arélius les faisait à la ressemblance des femmes qu’il aimait ; ainsi chacun considère-t-il la spiritualité selon sa passion et sa fantaisie.  Celui qui est adonné au jeûne se regardera comme spirituel à condition de jeûner, bien que son cœur soit plein de rancune.  Par sobriété il n’osera goûter ni au vin ni même à l’eau, mais il n’hésitera pas à plonger sa langue dans le sang du prochain par la médisance et la calomnie.
Un autre estimera qu’il est spirituel parce qu’il répète beaucoup d’oraison chaque jour…, et malgré cela sa bouche se répandra en paroles fâcheuses, arrogantes et injurieuses envers ses domestiques et ses voisins.
Un autre pardonnera bien à ses ennemis, mais il obligera ses créanciers à employer la force de la justice. Tous ces gens-là, on les regarde pour spirituels alors qu’ils ne le sont pas.
Les partisans de Saül cherchaient à découvrir David caché dans sa maison ; Michol ayant mis dans un lit une statue couverte des habits de David, leur fit croire que c’était David lui-même, malade, qui dormait.  Pareillement beaucoup de personnes se font remarquer par des actions extérieures de sainte dévotion, et le monde croit que ce sont des gens spirituels alors qu’en réalité ils ne représentent que des simulacres de dévotion.
La vie spirituelle vivante et vraie ô Philotée, présuppose l’amour de DIEU, et elle n’est rien d’autre qu’un véritable amour de DIEU.  Ce n’est pas toutefois un amour ordinaire. Lorsque l’amour divin embellit notre âme, il s’appelle grâce, et nous rend agréables à Sa divine Majesté. Lorsqu’il nous donne la force de bien faire, il s’appelle charité. Mais quand il est parvenu au degré de perfection auquel non seulement il nous fait bien agir, mais encore nous fait agir soigneusement, à maintes reprises et promptement, voilà la vraie vie intérieure.
Les autruches ne volent jamais ; les poules volent lourdement, à ras de terre et rarement ; mais les aigles, les colombes et les hirondelles volent souvent, rapidement et haut dans le ciel. C’est ainsi que les pécheurs qui ne s’élancent point vers DIEU font toutes leurs actions sur la terre et pour la terre.
Quant aux gens de bien qui n’ont pas encore atteint la vie spirituelle, ils tendent vers DIEU par leurs bonnes actions, rarement, lourdement et à ras de terre.
Mais les personnes spirituelles s’élancent vers DIEU souvent, rapidement et facilement.  Bref, la vie intérieure n’est rien d’autre qu’un élan spirituel grâce auquel elle opère en nous et nous en elle, avec rapidité et affection.
C’est le propre de la charité de nous faire pratiquer tous les commandements de DIEU dans leur intégralité, comme la dévotion nous les fait pratiquer vite et avec soin. C’est pourquoi celui qui n’observe pas tous les commandements de DIEU, on ne peut l’appeler bon ou spirituel.  En effet pour être bon il faut avoir la charité, et pour être spirituel, il faut, outre la charité, une vive propension aux actions charitables.
Puisque la vie spirituelle repose sur un fond d’ardente charité, non seulement elle nous rend zélés à observer tous les commandements de DIEU, mais encore elle nous stimule à faire avec dilection le plus de bonnes œuvres possible, bien que celles-ci ne soient en aucune façon commandées, mais seulement conseillée ou inspirées.
Car de même qu’un homme, récemment guéri de quelque maladie va son chemin, lorsqu’il le faut, avec lenteur et fatigue, de même le pécheur pardonné poursuit sa route, selon les commandements de DIEU, avec peine et lenteur aussi longtemps et autant qu’il faut pour atteindre la dévotion.
A ce dernier stade, non seulement il chemine comme un homme en parfaite santé, mais il court en la voie des commandements de DIEU ; et même plus : il se hâte dans les sentiers des conseils et inspirations évangéliques.
Disons aussi que la charité et la vie spirituelle ne diffèrent pas plus l’une de l’autre que la flamme ne diffère du feu ; d’autant plus que la charité étant un feu spirituel, devient de la dévotion lorsqu’elle brûle ardemment.
Ainsi donc, la vie intérieure n’ajoute rien au feu de la charité, si ce n’est cette flamme qui la rend active à observer les commandements de DIEU et aussi à mettre en pratique les conseils évangéliques.
Fin du Chapitre 1
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"Philotée" veut dire "qui penche pour Dieu" (in La Vie Spirituelle dans le Monde, par Saint François de Sales -page 10)

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