dimanche 14 août 2011

Chapitre 2 - Propriété et excellence de la vie spirituelle



Pour décourager les Israélites d’aller en Terre promise, on leur disait que c’était un pays « qui dévorait les habitants » en ce sens que l’air y était si pollué qu’on ne pouvait y vivre longuement.  De plus les habitants étaient parait-il des géants prodigieux avalant les autres hommes comme des sauterelles.

C’est ainsi, ma chère Philotée, que le monde déforme tant qu’il peut la vie spirituelle en présentant les personnes dévotes sous un visage fâcheux, triste et chagrin.  Ils publient partout que l’humeur mélancolique et insupportable est le propre de la dévotion.

Mais comme Josué et Calel soutenaient que non seulement la Terre promise était belle et bonne, mais aussi que sa possession en serait douce et agréables, de même le Saint-Esprit par la bouche de tous les saints, et NOTRE-SEIGNEUR par la sienne propre, nous assurent que cette spirituelle est une vie heureuse, douce et aimable.

Aux yeux du monde, les dévots jeûnent, prient, souffrent les injures, soignent les malades, font l’aumône, veillent, étouffent leur colère, maîtrisent leurs passions et renoncent aux plaisirs des sens.  Ils pratiquent bien d’autres actions qui, de par leur nature, sont une dure ascèse.  Et pourtant le monde ne voit pas que la vie intérieure rend toutes ces actions agréables, douces et faciles.

Regardez les abeilles sur le thym ; elles y butinent un suc des plus amers qu’elles convertissent en miel parce que telle est bien leur fonction propre.  Si les âmes, ô mondains, trouvent de l’amertume dans leurs mortifications, ce faisant elles la convertissent en douceur et suavité. Le feu, le roue, l’épée semblaient fleurs et parfums aux martyrs à cause de leur dévotion… Si celle-ci change en douceur les plus cruels tourments et même la mort, que ne fera-t-elle pour la vertu ?

Le sucre adoucit les fruits non mûrs et rend digestes ceux qui sont trop mûrs ; or le vrai sucre spirituel, c’est la dévotion qui enlève et l’amertume aux mortifications et le nuisible aux consolations. Au pauvre, elle ôte le chagrin, au riche l’empressement, au déprimé le désespoir, au favorisé l’insolence, au solitaire la tristesse, au libertin la dissipation.  Elle est un feu en hivers, une rosée en été.  Elle est égale dans l’abondance et la pauvre, dans l’honneur et le mépris, le plaisir et la peine.  Elle nous remplit d’une merveilleuse suavité.

Regardez l’échelle de Jacob, qui est le vrai portrait de la vie spirituelle : les deux côtés entre lesquels on monte et où se tiennent les échelons représentent l’oraison qui nous obtient l’amour de DIEU conféré par les sacrements. Quant aux échelons, ils ne sont rien d’autre que les différents degrés de charité par lesquels on va de vertu en vertu, soit que l’on descend épar l’action au secours et support du prochain, soit que l’on monte par la contemplation à l’union amoureuse avec DIEU.

Regardez je vous prie, ceux qui sont sur l’échelle, ce sont ou bien des hommes au cœur angélique, ou bien des anges revêtus de corps humains.  Bien qu’ils ne soient pas jeunes, ils en ont l’apparence parce qu’ils sont plein de vigueur et d’agilité spirituelle.  S’ils sont des ailes pour s’élancer en DIEU par la sainte oraison, ils ont aussi des pieds pour faire route avec les hommes par un aimable et saint dialogue.  Leurs beaux visages reflètent la sérénité car ils reçoivent toutes choses avec tranquillité et douceur.  Leurs têtes, bras et jambes sont à découvert car leurs pensées, leurs affections et leurs actions n’ont d’autre motif que celui de plaire à DIEU.  Le restant de leurs corps est revêtu d’une belle robe, toute légère, parce qu’en vérité ils usent de ce monde en toute pureté et sincérité ; ils n’en prennent que légèrement juste ce qui est requis par leur condition.  Telles sont les personnes spirituelles.

Croyez-moi chère Philotée : la vie spirituelle, c’est la douceur de des douceurs et la reine des vertus ; elle est la perfection de la charité. Si la charité est un lait, la dévotion en est la crème ; si elle est une plante, la dévotion en est la fleur ; si elle est une pierre précieuse, la dévotion en est l’éclat ; si elle est un baume précieux, la dévotion en est l’odeur. Elle est l’odeur de suavité qui réconforte les hommes et réjouit les anges.

(La Vie Spirituelle dans le Monde aka Introduction à la  Vie Dévote de Saint Jean-François de Sales)

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